La Fée des grèves

Page: .40./.66.

Paul Féval

La Fée des grèves

Quand Aubry eut un peu lâché prise, Méloir avala une lampée d’air avec une satisfaction manifeste.

—    Tu as un bon poignet, mon cousin, dit-il, et moi, je suis un sot. Ta rubrique vaut beaucoup mieux que la mienne. Voilà tout. Il n’y a pas de quoi se fâcher pour cela.

—    Écoute, Méloir, lui répondit le jeune homme d’armes, tu étais un brave soldat autrefois, et un bon compagnon… Je n’ai pas le courage de te tuer…

—    Peste ! interrompit Méloir, me tuer ! Tu n’y vas pas par quatre chemins, toi, mon cousin Aubry !

—    Je le devrais pour monsieur Hue de Maurever et pour sa fille…

—    Du tout, interrompit encore Méloir; tu sais bien, je suis incapable…

La main d’Aubry s’appesantit un peu plus sur la gorge du chevalier.

—    Tais-toi ! dit-il rudement; je n’ai pas le loisir d’écouter tes billevesées. Je veux bien t’épargner, mais c’est à condition que tu ne me gêneras point dans l’accomplissement de mon dessein.

—    Foi de chevalier ! s’écria Méloir; tu n’as qu’à scier ton barreau devant moi; si tu veux, je te ferais la courte échelle.

—    Bien obligé. Cette voie me semble désormais incommode et dangereuse. Pourquoi sortir par la fenêtre, quand la porte est là ?

—    Je te fais observer, mon cousin Aubry, que tu me serres le cou sans y songer. Je déteste les demi-mesures. Étrangle-moi comme il faut, morbleu ! ou lâche-moi !

—    Je te lâcherai dès que nous serons d’accord.

—    Je ne peux pourtant pas t’ouvrir cette porte, moi ! s’écria Méloir d’un ton dolent.

—    Me promets-tu qu’une fois libre, tu ne tenteras contre moi aucune résistance ?

—    Je le promets.

—    Me promets-tu que tu te laisseras lier les mains et les jambes ?

—    À quoi bon, mon cousin ?

—    Et mettre un bâillon sur la bouche ? acheva Aubry, dont les doigts firent un petit mouvement.

—    Je le promets ! je le promets ! je le promets ! dit Méloir précipitamment.

—    T’engages-tu à me céder ton armure pour que je m’en revête sous tes yeux ?

—    Mon armure ?

—    Depuis les éperonnières jusqu’à la salade.

—    Ah ! cousin Aubry ! mon cousin Aubry, grommela le pauvre chevalier, je ne t’aurais jamais cru si madré que cela !

—    T’y engages-tu ?

—    Je m’y engage.

—    Sous serment ?

—    Sous serment.

—    À la bonne heure ! Relève-toi donc et tiens ta parole comme un gentilhomme.

Pour ce qui était de se relever, Méloir ne se le fit point dire deux fois. Quant à tenir sa parole, peut-être aurait-il trouvé quelque exception, comme on dit au Palais, s’il n’avait pas vu sa bonne épée toute nue entre les mains d’Aubry.

Sa dague restait bien encore au fourreau, mais Aubry de Kergariou était un fier homme d’armes. L’attaquer avec une dague quand il avait l’épée à la main, c’eût été folie.

Méloir se secoua, s’étira, se tâta.

—    Allons, dit Aubry, en besogne ! Méloir fit un pas vers lui. Aubry lui mit sans façon la pointe de l’épée entre les deux yeux.

—    À distance ! dit-il; les bons comptes font les bons amis; ne m’approche pas, ou je te pique !

—    Tu as donc défiance ?

—    J’ai hâte. En besogne.

—    J’y suis, mon cousin Aubry, j’y suis ! Méloir se mit en effet à délacer son armure. Il n’avait que les pièces légères et non point la carapace en fer que le quinzième siècle portait encore au combat. Son équipement consistait en éperonnières d’acier, vissées aux cuissards de gros buffle, corselet de mailles, manches de buffle, salade sans visière, à plumail. Aubry le suivait de l’œil.

Quand Méloir eut achevé de se désarmer, ne gardant que ses chausses et son justaucorps, Aubry prit sous la paille de son lit une corde qui devait lui servir dans son évasion projetée.

—    Donne tes poignets ! commanda-t-il.

—    Attends au moins que tu sois armé. Aubry eut un sourire.

—    Je m’armerai quand tu seras lié, répliqua-t-il; donne tes poignets !

Méloir obéit enfin, mais bien à contrecœur. Ce bon chevalier avait espéré véritablement rétablir sa partie pendant qu’Aubry ferait sa toilette.

Il grommela en tendant ses poignets :

—    Qui diable aurait pensé que ce petit homme-là pût jouer si serré ?

—    Voilà, dit Aubry, qui avait fait un beau nœud; je te tiens quitte des pieds. Assieds-toi maintenant à ma place et réfléchis, si tu veux, aux vicissitudes du sort.

Méloir s’assit. Il avait beaucoup l’air d’un renard qu’une poule aurait pris. En un clin d’œil, Aubry fut armé de pied en cap.

—    Suis-je bien comme cela ? demanda-t-il.

—    Sarpebleu ! s’écria Méloir en colère, ne faut-il encore que je te serve de miroir ?

—    Allons ! allons ! ne te fâche pas, cousin Méloir. Une fois ou l’autre, je te rendrai tes armes. À présent, nous n’avons plus que le bâillon à mettre.

Il était trop tard pour faire résistance.

Méloir se laissa bâillonner.

Mais il ne restait plus trace de son excellent caractère. Il roulait dans sa tête de féroces pensées de vengeance.

Aubry lui souhaita courtoisement le bonjour et donna du gantelet dans la porte.

Il frappait à tour de bras, se souvenant que le bon frère Bruno avait dit : « Je vais à matines ».

Mais il paraît que le bon frère Bruno s’était ravisé, car au premier coup la porte s’ouvrit.

Aubry ne put s’empêcher de faire un pas en arrière.

—    Il était là ! pensa-t-il; il a dû tout entendre. Et comme, au même instant, Méloir se leva brusquement, poussant des cris inarticulés sous son bâillon, Aubry se vit perdu.

—    Qu’a donc ce maître fou ? s’écria cependant le bon frère Bruno. Sire chevalier, donnez-lui du plat de votre épée entre les deux épaules !

Un conte de Paul Féval

La Fée des grèves: conte breton

Page: .40./.66.