Paul Féval

Page: .39./.66.

Paul Féval

La Fée des grèves

Ce fut au tour du prisonnier de froncer le sourcil. Méloir prenait rondement sa revanche.

—    Ne te fâche pas, continua-t-il, et laisse-moi me divertir. Voici donc la rubrique annoncée : J’arrive à la retraite de monsieur Hue de Maurever, mon futur et vénéré beau-père, je l’arrête au nom du duc François, lui, sa fille et sa suite, s’il en a, par fortune, ce que je ne crois guère. Je les emmène. Tu suis bien, n’est-ce pas ? En chemin, je pousse mon cheval aux côtés du sien et je lui dis :

—    Sire chevalier, je fus de vos amis, et vous avez dû vous étonner grandement de me voir prendre le rôle qui est présentement le mien.

Il ne répond que par un regard de dédain. J’insiste. Il m’envoie au diable.

—    Tu vois que je mets tout au pis, mon cousin.

J’insiste encore et je lui dis avec tristesse :

—    Vous m’avez bien mal jugé, Hue de Maurever. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour vous. Dès la première heure où vous avez été en danger, j’ai voulu vous sauver, fût-ce au péril de ma propre vie !

Naturellement il ouvre une oreille, car enfin, dès qu’une énigme est posée, on aime à en savoir le mot. Moi, je salue respectueusement, et je fais mine de vouloir me retirer. Il me retient en disant :

—    Je ne vous comprends pas. À moins qu’il ne préfère dire :

—    Expliquez-vous. Je lui laisse le choix entre les deux tournures. Je reviens aussitôt d’un air humble et affectueux. Je reprends :

—    Messire Hue, j’aime votre fille…

—    Et à ce coup, il te tourne le dos, malandrin que tu es ! interrompit Aubry.

—    Je crois que tu as raison, répondit tranquillement Méloir; à cet aveu il devra me tourner le dos. C’est la crise. Mais je ne me démonte pas, et j’ajoute d’un ton pénétré :

—    Pensez-vous, messire Hue, qu’avec un pareil amour, j’aie pu, un seul instant ?… Il m’interrompt par un rude :

—    En voilà assez !

Car il faut faire la part de sa mauvaise humeur. Moi, je m’écrie :

—    Ah ! messire Hue ! l’accusé a du moins le droit de la défense; au moment où je vous ai dit : j’aime votre fille, vous avez cru deviner le mobile de ma conduite, vous avez pensé : le chevalier Méloir veut nous conduire aux pieds du duc François, livrer ma tête et demander pour récompense la main de ma fille…

Si je puis verser une larme en cet endroit, mon cousin Aubry, tout est dit ! Si je ne peux pas verser une larme, je ferai semblant de m’essuyer les yeux et je poursuivrai avec chaleur :

—    Hélas ! messire Hue, tel n’est point mon dessein. Je ne suis qu’un pauvre gentilhomme, c’est vrai, mais j’ai le cœur aussi haut qu’un roi. Mon dessein, c’était de prendre l’emploi de vous pourchasser, afin qu’un autre, moins ami, n’en fût point chargé. Mon dessein était, le premier jour comme aujourd’hui, de venir à vous et de vous dire : « La terre Normande est là, sous vos pieds, messire Hue; vous êtes libre. Que Dieu vous garde… »

—    Ah ! scélérat maudit ! s’écria Aubry, qui avait de la sueur aux tempes.

—    Aimerais-tu mieux me voir te livrer au grand prévôt du duc François ? demanda Méloir en ricanant.

—    Je voudrais te voir en champ clos et l’épée à la main, charlatan d’honneur !

—    Puisque tu te fâches ainsi, mon cousin Aubry, interrompit Méloir en se levant, c’est que ma recette est bonne et qu’elle doit réussir.

Aubry se leva également.

—    Oui, elle est bonne, ta recette ! balbutia-t-il d’une voix entrecoupée par la fureur; Hue de Maurever, qui est la générosité même. Et peut-être que Reine pour sauver la vie de son père…

—    Par saint Méloir ! s’écria le chevalier, chacune de tes paroles me ravit d’aise, mon cousin. Il paraît décidément que j’ai touché le joint.

La colère bouillait dans le cœur d’Aubry. L’effort même qu’il faisait pour se contenir était un aliment à sa fureur. Méloir le regardait d’un air provocant.

—    Et maintenant, reprit-il, je n’ai plus rien à te dire, mon pauvre cousin. Au revoir, et bien de la résignation je te souhaite. Quand nous nous retrouverons, je te présenterai à ma dame.

La rage du jeune homme fit explosion en ce moment. Toute idée de prudence avait disparu en lui.

—    Lâche ! lâche ! lâche ! s’écria-t-il par trois fois en s’adossant contre la porte; tu me retrouveras plus tôt que tu ne penses… et quand tu ouvriras la bouche pour tromper le noble vieillard et sa fille, mon épée te fera rentrer le mensonge dans la gorge !

—    Ah !… fit Méloir qui recula jusque sous la fenêtre. Aubry aurait voulu rappeler les paroles prononcées. Mais il n’était plus temps.

—    Sarpebleu ! dit Méloir, j’étais venu un peu pour cela. Il paraît que nous avons, nous aussi, des rubriques ? Il regarda tout autour du cachot une seconde fois et plus attentivement. Aubry s’était recouché sur sa paille; il ne parlait plus.

Aubry avait les mains libres; plus d’une fois l’idée lui était venue de s’élancer sur le chevalier; mais celui-ci était armé jusqu’aux dents, et Aubry n’avait rien pour se défendre.

Après qu’il eut fait son examen, Méloir grommela :

—    Pas une fente où passer le doigt ! ce petit-là n’est pas un farfadet, pourtant !

—    Ah ! fit-il en se ravisant; la meurtrière ! Aubry tressaillit de la tête aux pieds. Méloir redressa sa grande taille, et comme sa tête n’atteignait pas encore la meurtrière, il sauta.

—    Un lapin passerait bien là ! murmura-t-il.

Son regard sembla faire la comparaison de la largeur de la fenêtre avec l’épaisseur du corps d’Aubry.

—    Si le barreau était coupé… pensa-t-il tout haut.

Il ôta son gantelet de fer, se haussa sur ses pointes et le lança violemment contre le barreau qui rendit un son fêlé.

—    Ah ! sarpebleu ! sarpebleu ! s’écria-t-il, mon cousin, j’ai bien fait de venir !

Mais il n’acheva pas, parce que le jeune homme se voyant perdu et prenant une résolution soudaine, avait profité du moment où Méloir attaquait le barreau pour s’élancer sur lui.

En un clin d’œil, Méloir fut terrassé.

Aubry, qui appuyait son genou contre sa poitrine, lui mit sa propre épée sur la gorge.

—    Un cri, un mot, dit-il à voix basse, et je te tue comme un chien !

—    Et bien tu ferais, mon cousin Aubry, repartit Méloir qui ne se déconcertait pas pour si peu; tu as agi de bonne guerre… Et je n’ai pas déjà si bien fait de venir ! Mais tu peux serrer ma gorge un peu moins fort si tu veux. Je t’engage ma parole de chevalier que je n’appellerai pas au secours.

Paul Féval

La Fée des grèves

Page: .39./.66.