Pêcheur d'Islande

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Pierre Loti

Pêcheur d'Islande

Décidément il les accompagnait, jusque chez elles sans doute.

Ils s’en allaient tous trois, comme pour l’enterrement de ce chat, et cela devenait presque un peu drôle, maintenant, de les voir ainsi passer en cortège; il y avait sur les portes des bonnes gens qui souriaient. La vieille Yvonne au milieu, portant la bête; Gaud à sa droite, troublée et toujours très rose; le grand Yann à sa gauche, tête haute, et pensif.

Cependant la pauvre vieille s’était presque subitement apaisée en route; d’elle-même, elle s’était recoiffée et, sans plus rien dire, elle commençait à les observer alternativement l’un et l’autre, du coin de son œil qui était redevenu clair.

Gaud ne parlait pas de peur de donner à Yann une occasion de prendre congé; elle eût voulu rester sur ce bon regard doux qu’elle avait reçu de lui, marcher les yeux fermés pour ne plus voir rien autre chose, marcher ainsi bien longtemps à ses côtés dans un rêve qu’elle faisait, au lieu d’arriver si vite à leur logis vide et sombre où tout allait s’évanouir.

A la porte, il y eut une de ces minutes d’indécision pendant lesquelles il semble que le cœur cesse de battre. La grand-mère entra sans se retourner; puis Gaud, hésitante, et Yann, par derrière, entra aussi…

Il était chez elle, pour la première fois de sa vie; sans but, probablement; qu’est-ce qu’il pouvait vouloir ?… En passant le seuil, il avait touché son chapeau, et puis, ses yeux ayant rencontré d’abord le portrait de Sylvestre dans sa petite couronne mortuaire en perles noires, il s’en était approché lentement comme d’une tombe.

Gaud était restée debout, appuyée des mains à leur table. Il regardait maintenant tout autour de lui, et elle le suivait dans cette sorte de revue silencieuse qu’il passait de leur pauvreté. Bien pauvre, en effet, malgré son air rangé et honnête, le logis de ces deux abandonnées qui s’étaient réunies. Peut-être, au moins, éprouverait-il pour elle un peu de bonne pitié, en la voyant redescendue à cette même misère, à ce granit fruste et à ce chaume. Il n’y avait plus de la richesse passée, que le lit blanc, le beau lit de demoiselle, et involontairement les yeux de Yann revenaient là…

Il ne disait rien… Pourquoi ne s’en allait-il pas ?… La vieille grand-mère, qui était encore si fine à ses moments lucides, faisait semblant de ne pas prendre garde à lui. Donc ils restaient debout devant l’un l’autre, muets et anxieux, finissant par se regarder comme pour quelque interrogation suprême.

Mais les instants passaient et, à chaque seconde écoulée, le silence semblait entre eux se figer davantage. Et ils se regardaient toujours plus profondément, comme dans l’attente solennelle de quelque chose d’inouï qui tardait à venir.

Un roman de Pierre Loti

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