Paul Féval

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Paul Féval

La Fée des grèves

— Oses-tu bien m’arrêter, malheureux enfant ! dit la fée en grossissant sa douce voix.

—    Oh ! bonne dame ! bonne dame ! répliqua Jeannin d’un accent larmoyant, mais en la serrant plus fort, tout le monde sait que je ne suis pas brave. Si je risque ma vie, c’est que je ne peux pas faire autrement, allez !

—    Et je si te la prenais, ta vie ?

—    Bonne fée ! je suis un poltron, c’est connu, mais on ne meurt qu’une fois, et j’aime mieux mourir que de voir Simonnette mariée à ce vilain coquin de Gueffès.

—    Lâche-moi !

—    Non pas, bonne fée ! s’écria Jeannin, vivement; si je vous lâchais, vous vous changeriez en brouillard !

—    Mais je puis me venger sur Simonnette. Jeannin frémit de tous ses membres.

—    Voilà, par exemple, qui serait bien méchant de votre part ! murmura-t-il, car Simonnette ne vous a rien fait, la pauvre fille !

—    Lâche-moi, te dis-je !

—    Écoutez, bonne fée, une fois pour toutes, je ne vous lâcherai pas que vous ne m’ayez donné cinquante écus nantais. C’est dit.

La fée avait laissé tomber son panier sur le sable. L’escarcelle du chevalier Méloir était à sa ceinture.

Le petit Jeannin avait prononcé ces dernières paroles d’un ton respectueux, mais déterminé.

Il y eut un court silence, pendant lequel on n’entendit que le sifflement du vent du large et la trompe lointaine des cavaliers bretons qui se ralliaient dans la nuit.

—    Ce vent annonce que la mer monte, n’est-ce pas ? demanda brusquement la fée.

—    Oh ! dit Jeannin qui se mit à sourire; vous connaissez les grèves aussi bien que moi, bonne dame… quoique je vous aie attrapée, ajouta-t-il, comme si une idée lui fût venue tout à coup, à la mare de Cayeu, qui n’arrêterait pas un enfant de huit ans. Enfin, n’importe; ça vous amuse de faire l’ignorante. Oui, bonne fée, ce vent annonce que la mer monte.

—    Montera-t-elle vite, aujourd’hui ?

—    Assez.

—    Combien faut-il de temps pour aller d’ici au Mont-Saint-Michel ?

—    Vous me le demandez ? La fée frappa son petit pied contre le sable.

—    Un gros quart d’heure, en courant comme nous le faisions, ajouta Jeannin.

—    Et la mer fermera la route ?

—    À peu près dans une demi-heure. La fée prit l’escarcelle à sa ceinture et la jeta sur le sable, où les écus parlèrent leur langage joyeux. Jeannin poussa un grand cri d’allégresse, lâcha la fée et se précipita sur l’escarcelle. Mais un doute le prit soudain.

—    Si c’était de la monnaie du diable ! se dit-il. Il se retourna vivement, pensant bien que la fée était déjà à mi-chemin des nuages. La fée était debout à la même place. Et le petit Jeannin remarqua pour la première fois combien sa taille était fine, noble et gracieuse. On ne voyait point son visage, mais Jeannin, en ce moment, la devina bien belle.

—    Enfant, dit-elle, d’une voix triste et si douce que le petit coquetier se rapprocha d’elle involontairement, ne montre cette escarcelle à personne, car elle pourrait te porter malheur.

—    Il faudra pourtant bien la porter à Simon Le Priol, pensa Jeannin.

—    Simonnette est belle et bonne, reprit la fée; rends-la heureuse.

—    Oh ! quant à ça, soyez tranquille !

—    Prie Dieu pour monsieur Hue de Maurever, ton seigneur, qui est dans la peine, poursuivit encore la fée, et s’il a besoin de toi, sois prêt !

—    Dam ! fit Jeannin avec embarras, je ne suis pas bien brave, vous savez, bonne dame ! Mais c’est égal, je commence à croire que je deviendrai un homme un jour ou l’autre ! Et, tenez, j’avais bonne envie des cinquante écus nantais, n’est-ce pas, puisque j’ai osé courir après vous pour les avoir ? Eh bien ! ce soir, le chevalier qui est là-bas m’a dit : « Si tu veux me livrer le traître Maurever, tu auras cinquante écus nantais ». Moi, j’ai pris mes jambes à mon cou…

—    Est-ce que tu sais où se cache monsieur Hue ? demanda la fée.

—    Je pêche quelquefois du côté de Tombelène, répondit Jeannin qui eut un sourire sournois.

La fée tressaillit, puis elle lui prit la main. Jeannin trembla bien un peu, mais ce fut par habitude.

—    Si on t’appelait au nom de la Fée des Grèves, dit-elle, viendrais-tu ?

—    Par ma foi, oui ! répondit Jeannin sans hésiter; maintenant, j’irais !

—    C’est bien… souviens-toi et attends. Adieu ! La fée franchit d’un bond la queue de la mare Cayeu. Le vent du large prit son voile qui flotta gracieusement derrière elle. Jeannin resta frappé à la même place.

C’était à présent que lui venait la terreur superstitieuse.

Un instant, lorsque la fée avait prononcé le nom de Hue de Maurever, une idée avait voulu entrer dans l’esprit du petit Jeannin.

—    Mademoiselle Reine… s’était-il dit.

—    Ou son Esprit peut-être, avait-il ajouté, puisqu’on dit qu’elle est défunte ! Nous avons glissé à dessein sur la partie prosaïque de la scène. Par exemple, nous n’avons parlé qu’une seule fois du panier de la fée.

Jeannin n’avait sans doute pas vu ce panier, qui n’allait pas bien à une fée, mais qui eût été tout à fait mal séant pour un Esprit.

Un Esprit n’ira jamais porter un panier contenant des poulets (ô poésie !), un pain et un flacon de bon vin vieux.

Non. Un Esprit est incapable de cela.

Jeannin, cependant, renonça bien plus vite à l’idée de Reine de Maurever vivante qu’à l’idée de Reine fantôme.

Et vraiment, il ne faut pas voir les choses sur ces grèves si l’on veut rester dans la réalité.

Tout y revêt un cachet fantastique. La lumière, source et agent de tout spectacle, s’y comporte autrement qu’en terre ferme. De même que l’objet le plus commun placé au centre du kaléidoscope brille tout à coup et se teint de couleurs imprévues, de même les conditions de l’atmosphère, la nature du sol, quelque chose enfin qu’il importe peu de définir ici, font de ces grèves un immense appareil où la dioptrique et la catoptrique…

Hélas ! bon Dieu, où allons-nous ? L’auteur affirme sous serment qu’il a trouvé ces deux mots redoutables dans un almanach.

Pour en revenir aux merveilles de nos grèves, aux mille jeux de lumière qui trompent l’œil des riverains eux-mêmes et des Montois, il faut dire qu’aucun appareil de physique n’en pourrait donner une idée. Pas n’est besoin d’aller au Sahara pour voir de splendides mirages.

Paul Féval

La Fée des grèves: conte breton

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