Isidore Ducasse

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Le Comte de Lautréamont

Les 6 chants de Maldoror

j’ai créés avec un peu de sable ! Raconte-leur un mensonge audacieux, et dis leur que je ne suis jamais sorti du ciel, constamment enfermé, avec les soucis du trône, entre les marbres, les statues et les mosaïques de mes palais. Je me suis présenté devant les célestes fils de l’humanité; je leur ai dit : “Chassez le mal de vos chaumières, et laissez entrer au foyer le manteau du bien. Celui qui portera la main sur un de ses semblables, en lui faisant au sein une blessure mortelle, avec le fer homicide, qu’il n’espère point les effets de ma miséricorde, et qu’il redoute les balances de la justice. Il ira cacher sa tristesse dans les bois; mais, le bruissement des feuilles à travers les clairières, chantera à ses oreilles la ballade du remords; et il s’enfuira de ces parages, piqué à la hanche par le buisson, le houx et le chardon bleu, ses pas rapides entrelacés par la souplesse des lianes et les morsures des scorpions. Il se dirigera vers les galets de la plage; mais, la marée montante, avec ses embruns et son approche dangereuse, lui raconteront qu’ils n’ignorent pas son passé; et il précipitera sa course aveugle vers le couronnement de la falaise, tandis que les vents stridents d’équinoxe, en s’enfonçant dans les grottes naturel-les du golfe et les carrières pratiquées sous la muraille des roches retentissants, beugleront comme les troupeaux immenses des buffles des pampas. Les phares de la côte le poursuivront, jusqu’aux limites du septentrion, de leurs reflets sarcastiques, et les feux follets des maremmes, simples vapeurs en combustion, dans leurs danses fantastiques, feront frissonner les poils de ses pores, et verdir l’iris de ses yeux. Que la pudeur se plaise dans vos cabanes, et soit en sûreté à l’ombre de vos champs. C’est ainsi que vos fils deviendront beaux, et s’inclineront devant leurs parents avec reconnaissance; sinon, malingres, et rabougris comme le parchemin des bibliothèques, ils s’avanceront à grands pas, conduits par la révolte, contre le jour de leur naissance et le clitoris de leur mère impure.” Comment les hommes voudront-ils obéir à ces lois sévères, si le législateur lui-même se refuse le premier à s’y astreindre ?… Et ma honte est immense comme l’éternité !” J’entendis le cheveu qui lui pardonnait, avec humilité, sa séquestration, puisque son maître avait agi par prudence et non par légèreté; et le pâle dernier rayon de soleil qui éclairait mes paupières se retira des ravins de la montagne. Tourné vers lui, je le vis se replier ainsi qu’un linceul… Ne fais pas de pareils bonds ! Tais-toi… tais-toi… si quelqu’un t’entendait ! Il te replacera parmi les autres cheveux. Et, maintenant que le soleil est couché à l’horizon, vieillard cynique et cheveux doux, rampez, tous les deux, vers l’éloignement du lupanar, pendant que la nuit, étendant son ombre sur le couvent, couvre l’allongement de vos pas furtifs dans la plaine… Alors, le pou, sortant subitement de derrière un promontoire, me dit, en hérissant ses griffes : “Que penses-tu de cela ?” Mais, moi, je ne voulus pas lui répliquer. Je me retirai, et j’arrivai sur le pont. J’effaçai l’inscription primordiale, je la remplaçai par celle-ci : “Il est douloureux de garder, comme un poignard, un tel secret dans son cœur; mais, je jure de ne jamais révéler ce dont j’ai été témoin, quand je pénétrai, pour la première fois, dans ce donjon terrible.” Je jetai, par dessus le parapet, le canif qui m’avait servi à graver les lettres; et, faisant quelques rapides réflexions sur le caractère du Créateur en enfance, qui devait encore, hélas ! pendant bien de temps, faire souffrir l’humanité (l’éternité est longue), soit par les cruautés exercées, soit par le spectacle ignoble des chancres qu’occasionne un grand vice, je fermai les yeux, comme un homme ivre, à la pensée d’avoir un tel être pour ennemi, et je repris, avec tristesse, mon chemin, à travers les dédales des rues.

Isidore Ducasse

Les chants de Maldoror, texte intégral

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