Paul Féval

Page: .62./.66.

Paul Féval

La Fée des grèves

Quand le brouillard avait enfin cédé la place aux clairs rayons du soleil de juin, le chevalier Méloir s’était trouvé seul, aux environs de la rivière de Couesnon, à deux lieues au moins de la terre ferme.

Ce que son escorte était devenue, le chevalier Méloir ne le savait point.

Il était de terrible humeur.

Quelque chose comme un remords grondait au fond de sa conscience, car rien n’appelle si bien le remords que l’insuccès.

Or, le chevalier Méloir était un homme trop sage pour ne pas s’avouer qu’il avait échoué honteusement.

Siège et chasse avaient eu un résultat pareil.

Sarpebleu ! comme il disait le bon Méloir; damner son âme, encore passe s’il s’agit d’un bon prix ! Mais se donner à Satan gratis, quelle école ! et que ce maître Satan devait bien rire !

En vérité, dans ce moment de fatigue et de défaite, sa philosophie fléchissait. Il n’était pas très éloigné d’avouer sa faute et de dire son mea culpa.

D’autant qu’il pensait à l’avenir, où il voyait des nuages formidables.

L’occasion était manquée. Un crime qui n’a pas réussi se punit double.

Et c’est bien fait !

Hélas ! hélas ! tout n’est donc pas rose dans la vie d’un brave homme qui veut la tranquillité pour ses vieux jours, un ou deux manoirs, quelques rentes, une femme à son gré, l’aurea mediocritas enfin, et qui dévie un peu de la ligne droite pour atteindre ce joyeux résultat ?

Hélas ! il y a tant de coquins, pourtant, qui réussissent ! Le ciel était injuste envers ce pauvre chevalier Méloir !

Tout à coup, de l’autre côté du Couesnon, il aperçut deux paysans qui cheminaient.

Il s’était trop hâté de désespérer.

L’un de ces paysans, en effet, avait une arbalète sur l’épaule, et l’autre portait un costume qui réveilla quelques vagues souvenirs dans l’esprit du chevalier Méloir.

Une peau de mouton, nouée en écharpe et qui semblait avoir fourni de longs services.

Méloir se rappela ce jeune guide aux blonds cheveux qu’il avait interrogé en vain quelques jours auparavant, et que maître Vincent Gueffès voulait si bien faire pendre.

Le pauvre enfant marchait avec peine. La fatigue paraissait l’accabler.

Son compagnon et lui étaient évidemment des fugitifs du village de Saint-Jean-des-Grèves. Méloir songea qu’ils pourraient le renseigner. Il leur ordonna d’arrêter.

L’enfant à la peau de mouton et le paysan qui portait une arbalète n’eurent garde d’obéir. Ils pressèrent, au contraire, leur marche.

Méloir choisit un endroit où le Couesnon étalait sur le sable, c’est-à-dire coulait sur une large surface, sans rives et à fleur de grève.

Ces passages sont les gués les plus sûrs.

Méloir lança son cheval.

Le jeune garçon et son compagnon semblèrent se consulter. Le premier fit un geste de lassitude désespérée. Ils s’arrêtèrent.

Le paysan banda son arbalète et se mit au devant du jeune garçon.

—    Que diable veut dire ceci ? gronda Méloir. Puis il ajouta tout haut :

—    Bonnes gens, je ne vous ferai point de mal.

Un carreau d’acier vint frapper le front de son cheval, qui se leva sur ses pieds de derrière et retomba mort.

—    Maintenant fuyons ! s’écria Julien Le Priol; ses armes le gênent; il ne nous atteindra pas.

Oh ! certes, sans sa blessure, Reine de Maurever, qui avait trompé naguère si longtemps la poursuite du petit Jeannin, Reine eût échappé en se jouant au chevalier Méloir.

Mais elle souffrait cruellement, mais elle était accablée. Elle essaya de suivre Julien. Elle ne put et s’affaissa sur le sable.

—    Sarpebleu ! s’écria Méloir exaspéré; est-ce comme cela, manant endiablé ? Dix drôles comme toi ne payeraient pas mon bon cheval ! Attends !

Il prit son élan et vint l’épée haute sur Julien.

C’était à ce moment qu’Aubry de Kergariou mettait l’œil au télescope élémentaire, fabriqué par Messer Jean Connault, prieur des moines et amateur de physique.

Julien attendit le chevalier de pied ferme et le blessa d’un second coup d’arbalète.

Mais il n’avait que son couteau court pour détourner la longue épée de Méloir. Il fut renversé du premier choc.

—    Adieu, mademoiselle Reine, dit-il en mourant; que Dieu vous protège ! moi, j’ai fait ce que j’ai pu.

—    Reine ! s’écria Méloir qui n’en pouvait croire ses oreilles.

Il regarda le prétendu jeune garçon, et reconnut en effet la fille de Maurever.

—    Oh ! oh ! dit-il, voilà donc pourquoi ce rustre prétendait résister à un chevalier !

—    Damoiselle, ajouta-t-il en s’inclinant courtoisement, vous ne faites que changer de serviteur.

En ce moment Aubry entrait en grève, monté sur le cheval du sire de Ligneville.

Maître Loys volait, le ventre sur le sable.

Vers le nord-ouest, la ligne bleue courait aussi. Elle galopait. C’était la mer.

Le chevalier Méloir s’était approché de Reine et cherchait à la relever. Bien qu’il ne connût pas exactement les dangers de ces grèves, il ne pouvait pas manquer de voir et d’entendre la mer.

Reine était presque évanouie.

Le chevalier, dans les efforts qu’il fit pour la remettre debout, ne s’aperçut point d’abord que la tangue cédait sous ses pieds.

Il était armé lourdement.

Quand il s’en aperçut, le sable humide touchait les agrafes de ses genouillères.

Il lâcha Reine et voulut se dégager.

Comme il arrive toujours, ses efforts ne servirent qu’à creuser davantage le trou qui allait être son tombeau.

Il vit le sable au-dessus de ses genoux et devint livide.

—    Est-ce qu’il me faudra mourir ici ! pensa-t-il tout haut. Reine l’entendit. Elle se redressa galvanisée. Couchée comme elle l’était, et occupant une grande surface, son poids avait à peine attaqué le sable.

Pour se lever et s’enfuir, elle n’avait qu’un effort à faire, car ses pieds n’étaient point emprisonnés comme ceux du chevalier dans la tangue lourde et molle.

L’espoir lui monta au cœur avec violence.

Un roman de Paul Féval

La Fée des grèves

Page: .62./.66.