Paul Féval

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Paul Féval

La Fée des grèves

Au moment où le chevalier Méloir passait le seuil de la salle où étaient rassemblés ses hommes d’armes, une discussion très vive et très échauffée cessa brusquement.

Méloir n’en put entendre que quelques mots; mais ce qui suivit fut une explication parfaitement suffisante.

Kéravel et Fontebrault se levèrent en même temps à son approche.

—    Messire, lui dit Kéravel; je m’en vais retourner à mon manoir du Huelduc, devers Hennebon, sauf votre bon vouloir.

—    Et pourquoi cela ? demanda le chevalier en fronçant le sourcil.

—    Parce que mes moissons se font mûres, répondit le brave homme d’armes avec embarras.

—    Du diable si tu te soucies de tes moissons, toi, Kéravel ! Mais va-t’en où tu voudras, tu es libre.

—    En vous remerciant, messire. Kéravel tourna les talons — Et toi, Fontebrault, dit Méloir, est-ce que tu aurais aussi fantaisie d’aller voir mûrir tes seigles ?

—    J’ai reçu avis, répliqua gravement Fontebrault, que madame ma femme est en voie de délivrance.

—    Sarpebleu ! s’écria Méloir; c’est affaire du médecin-chirurgien, mon compagnon.

—    Sauf votre bon vouloir, messire, je vais m’en retourner du côté de Lamballe, où est ma demeure.

—    Sarpebleu ! sarpebleu ! Fontebrault prit congé. Méloir jeta un regard oblique sur les hommes d’armes qui restaient. Il vit Rochemesnil qui se levait.

—    Toi, tu n’as ni moissons ni femme, Rochemesnil ! s’écria-t-il; je te préviens qu’il y a bataille cette nuit. Si tu veux t’en aller après cela, honte à toi !

—    S’il y a bataille, je reste, repartit Rochemesnil; mais après la bataille, je m’en vais.

—    Où ça ?

—    Devers Guérande, où feu monsieur mon cousin Foulcher m’a laissé des salines sous son beau château de Carheil.

Méloir se laissa choir sur l’unique fauteuil qui fût dans la salle.

—    Sarpebleu ! sarpebleu ! sarpebleu ! grommela-t-il par trois fois. Et c’était preuve d’embarras majeur.

—    En sommes-nous donc là déjà ? reprit-il; je croyais que nous avions encore, au moins, une vingtaine de jours devant nous.

Comme on le voit, entre lui et les autres, ce n’était qu’une question de semaines. Il demeura un instant pensif; puis il se redressa tout à coup.

—    Allons ! Rochemesnil, dit-il, va-t’en voir les salines que t’a laissées feu monsieur ton cousin Foulcher de Carheil et que le diable t’emporte !

Rochemesnil ne se le fit pas répéter.

Méloir regarda ceux qui restaient.

—    Voilà les brebis parties, s’écria-t-il. Il ne reste plus céans que les loups. Sarpebleu ! mes fils, une dernière danse et qu’elle soit bonne ! Après, s’il le faut, nous aurons toute une quinzaine pour faire notre paix avec le futur duc, que saint Sauveur protège ! ajouta-t-il en touchant la toque qui remplaçait, sur sa tête, le casque conquis par Aubry de Kergariou.

Ce bout de harangue fit un assez bon effet. Péan, Coëtaudon, Kerbehel, Corson, Hercoat et d’autres encore se levèrent et dirent :

—    Nous sommes prêts.

—    Donc, commençons le bal ! ordonna Méloir. Chacun s’arma. On ne laissa pas un seul soldat au manoir. Bellissan fut chargé d’emmener les lévriers qu’on devait parquer sous la chapelle Saint-Aubert au mont Saint-Michel, afin de couper la retraite aux proscrits s’il s’avisaient de vouloir tenter la fuite à travers les grèves.

À la nuit tombante, la cavalcade sortit du manoir, suivie par les archers et les soldats en bon ordre.

Maître Gueffès était de la partie.

Son souhait se trouvait, du reste, accompli. C’était une véritable armée, une armée trois fois plus forte qu’il ne fallait, selon toute apparence, pour réduire les pauvres gens réfugiés à Tombelène.

Un conte de Paul Féval

La Fée des grèves: conte breton

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