La Fée des grèves

Page: .23./.66.

Paul Féval

La Fée des grèves

L’endroit du Mont où se trouvait maintenant Reine de Maurever était à peine assez large pour qu’une personne pût s’y asseoir à l’aise. Immédiatement au-dessus s’élevait la grande plate-forme du château que surmonte la basilique. Reine avait à sa gauche les murs inclinés de la Montgomerie, par où l’on monte au cloître et à toute cette partie des bâtiments appelée la Merveille.

Il y avait un archer de garde dans la guérite de pierre qui flanquait la plate-forme. Reine le savait; ce n’était pas la première fois qu’elle venait là. Elle savait aussi que la consigne des archers était de tirer sans crier gare, partout où ils apercevaient un mouvement dans les rochers.

Et cette consigne, soit dit en passant, n’était point superflue, car les Anglais tentèrent plus d’une fois, en ce siècle, de s’introduire nuitamment et par trahison dans l’enceinte du couvent-forteresse.

Reine de Maurever, dans sa vie ordinaire, était une enfant timide.

Mais Reine avait le cœur d’un chevalier quand il s’agissait de bien faire.

La mort, elle n’y songeait même pas ! C’était chose convenue avec elle-même que, dans ses courses hasardeuses, la mort était partout, sur les Grèves comme autour du Mont.

Les sables mouvants, la mer, les balles ou les carreaux des arbalétriers, tout cela tue. Reine bravait tout cela.

Nous sommes au siècle des vierges inspirées, des dentelles de granit et de splendides cathédrales.

Jeanne d’Arc, une autre jeune fille possédée de Dieu, venait d’accomplir le miracle qui reste comme un diamant éblouissant dans l’écrin de nos annales.

Jeanne d’Arc, que Voltaire a insultée, afin qu’aucun honneur ne manquât à la mémoire de Jeanne d’Arc.

La pauvre Reine n’était point une Jeanne d’Arc. Peut-être que son bras eût fléchi sous l’armure. Mais elle n’avait pas un trône à sauver.

Sa force était à la hauteur de son dévouement modeste.

La vengeance du duc François la faisait plus pauvre et plus dénuée que la plus indigente parmi les filles des vassaux de son père. Elle n’avait plus à donner que sa vie. Elle donnait sa vie simplement, nous allions dire gaiement.

C’était une jeune fille, ce n’était rien qu’une jeune fille, supportant sa peine avec courage, mais aspirant ardemment au bonheur.

Aubry était bien le fiancé qu’il fallait à cette blonde enfant des Grèves. Brave comme un lion, vif, bouillant, sincère; un vrai chevalier en herbe.

Il y avait quinze jours qu’Aubry était captif. François de Bretagne l’avait fait arrêter le soir même de l’événement raconté aux premières pages de ce livre. Depuis lors, Aubry n’avait vu que le frère-convers, chargé de lui apporter sa provende, et Reine, qui était venue parfois le visiter.

La fenêtre de son cachot était taillée de façon à ce qu’il ne pût apercevoir que le ciel. Le sol où il reposait restait à six pieds au-dessous de la meurtrière.

Ce cachot avait été creusé, avec trois autres pareils, sous la plate-forme, par Nicolas Famigot, ancien prieur claustral et vingt-quatrième abbé de Saint-Michel. L’intérieur était tout roc. Le dessus de la porte avait un carré taillé au ciseau dans la pierre, avec la date : A. D. 1276.

Les ouvriers, en creusant cette cellule carrée dans le roc vif, avaient ménagé un petit cube de granit destiné à soutenir la tête du prisonnier.

À part cette attention, les quatre cachots étaient entièrement nus.

Ce fut quelques années plus tard seulement que Louis XI, le roi démocrate, s’arrêta émerveillé à la vue de ces prisons modèles, Louis XI savait les dangers de la guerre qu’il avait déclarée à ses grands vassaux. Il aimait les cachots bien établis. Le Mont-Saint-Michel lui plut au-delà de tout dire.

Il y revint et il utilisa du mieux qu’il put ces cachots si recommandables.

À l’époque où se passe notre histoire, aucun captif politique n’avait encore illustré les dessous du Mont-Saint-Michel. Ces cachots étaient bonnement le pénitentiaire du couvent. On y mettait des moines ou des vassaux de l’abbaye, il avait fallu la requête du duc François pour qu’Aubry de Kergariou y pût trouver place.

Par autre grâce spéciale, le frère gardien avait été autorisé à lui délivrer quatre bottes de paille : de sorte qu’Aubry était à son aise.

Au moment où la voix de Reine se fit entendre sur la petite saillie qui était sous la meurtrière, Aubry dormait, couché sur la paille. Mais le sommeil des captifs est léger. Il ne fallut qu’un appel pour mettre Aubry sur ses pieds.

D’un bond il atteignit l’appui de la meurtrière et s’y tint suspendu.

—    Pauvre Aubry ! dit Reine. Et ils causèrent. Au bout de quelques minutes, la main droite d’Aubry qui tenait l’appui de la meurtrière lâcha prise, parce qu’elle commençait à s’engourdir; ses pieds touchèrent le sol et rebondirent : sa main gauche saisit l’arête de granit et supporta tout le poids de son corps à son tour.

—    Vous souvenez-vous de maître Loys, Reine ? dit-il.

—    Votre beau lévrier noir ?

—    Oui, mon beau lévrier ! mon pauvre ami si cher ! Reine convint que maître Loys était un parfait lévrier.

En ce moment, Aubry disparut pour reparaître aussitôt après, et, cette fois, ce fut sa main droite qui saisit l’appui de la meurtrière.

—    Il est bien heureux, ce maître Loys ! dit Reine en riant.

—    Cela vous étonne que je pense à lui ? demanda Aubry. Quand vous serez ma femme, Reine, vous verrez comme il vous aimera ! Mais vous ne pouvez pas l’aller chercher à Dinan…

—    J’ai un messager tout trouvé, interrompit Reine.

Elle songeait au petit coquetier Jeannin qui avait de si bonnes jambes…

—    Merci ! merci ! s’écria Aubry avec chaleur; il me semble que rien ne me manquerait ici si je savais que mon beau Loys est en bonnes mains et traité comme il faut. Mais parlons de vous. Y a-t-il du nouveau ?

Reine secoua la tête.

—    Il y a que le pays est rempli de soldats, répondit-elle; nous aurons de la peine à nous défendre et à nous cacher désormais. Hier on a crié la somme promise à qui livrera la tête de mon père.

—    Elle n’est pas encore gagnée, cette somme-là, Dieu merci !

—    Ils sont nombreux. Une douzaine d’hommes d’armes, sans compter le chef, qui est un chevalier… et beaucoup de soldats.

—    Ah ! dit Aubry, notre seigneur François a trouvé un chevalier pour s’avilir à ce métier-là !

—    Il n’en a pas trouvé, répliqua Reine; il en a fait un.

—    À la bonne heure ! et quel est le croquant ?…

—    Un de vos parents, Aubry…

—    Méloir ! s’écria le jeune homme avec cette indignation mêlée de mépris qui ne peut tuer tout à fait le sourire; Méloir… mon rival, vous savez, Reine…

Reine se redressa.

—    Oh ! ne vous offensez pas ! Il était bon autrefois, mais vous verrez qu’il sera pendu quelque jour comme un vilain, si je ne lui donne pas de ma dague dans la poitrine.

—    Pauvre Aubry ! dit Reine, entre sa poitrine et votre dague il y a loin !

Aubry disparut, comme si cette observation, cruelle dans sa vérité, l’eût foudroyé.

Un roman de Paul Féval

La Fée des grèves

Page: .23./.66.