Pierre Loti

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Pierre Loti

Pêcheur d'Islande

…Depuis quinze jours, Sylvestre, le petit confident de Gaud, était au cartier de Brest; très dépaysé, mais très sage; portant crânement son col bleu ouvert et son bonnet à pompon rouge; superbe en matelot, avec son allure roulante et sa haute taille; dans le fond, regrettant toujours sa bonne vieille grand-mère et resté l’enfant innocent d’autrefois.

Un seul soir il s’était grisé, avec des pays, parce que c’est l’usage : ils étaient rentrés au quartier, toute une bande se donnant le bras, en chantant à tue-tête.

Un dimanche aussi, il était allé au théâtre dans les galeries hautes. On jouait un de ces grands drames où les matelots, s’exaspérant contre le traître, l’accueillent avec un hou ! qu’ils poussent tous ensemble et qui fait un bruit profond comme le vent d’ouest. Il avait surtout trouvé qu’il y faisait très chaud, qu’on y manquait d’air et de place; une tentative pour enlever son paletot lui avait valu une réprimande de l’officier de service. Et il s’était endormi sur la fin.

En rentrant à la caserne, passé minuit, il avait rencontré des dames d’un âge assez mûr, coiffées en cheveux, qui faisaient les cent pas sur leur trottoir.

—    Écoute ici, joli garçon, disaient-elles avec des grosses voix rauques.

Il avait bien compris tout de suite ce qu’elles voulaient, n’étant point si naïf qu’on aurait pu le croire. Mais le souvenir, évoqué tout à coup, de sa vieille grand-mère et de Marie Gaos, l’avait fait passer devant elles très dédaigneux, les toisant du haut de sa beauté et de sa jeunesse avec un sourire de moquerie enfantine. Elles avaient même été fort étonnées, les belles, de la réserve de ce matelot :

—    As-tu vu celui-là !… Prends garde, sauve-toi, mon fils; sauve-toi, l’on va te manger.

Et le bruit de choses fort vilaines qu’elles lui criaient s’était perdu dans la rumeur vague qui emplissait les rues, par cette nuit de dimanche.

Il se conduisait à Brest comme en Islande; comme au large, il restait vierge. Mais les autres ne se moquaient pas de lui, parce qu’il était très fort, ce qui inspire le respect aux marins.

Pierre Loti

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