Jules Verne

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Jules Verne

Un billet de loterie

— C’est ici l’auberge de dame Hansen ?

—    Oui, monsieur, répondit Hulda.

—    Dame Hansen est-elle là ?

—    Non, mais elle va rentrer.

—    Bientôt ?

—    À l’instant, et si vous avez à lui parler…

—    Du tout. Je n’ai rien à lui dire.

—    Voulez-vous une chambre ?

—    Oui, la plus belle de la maison !

—    Faut-il vous préparer à dîner ?

—    Le plus vite possible, et veillez à ce qu’on me serve tout ce qu’il y a de meilleur !

Tels furent les propos qui s’échangèrent entre Hulda et le voyageur, avant même que celui-ci fût descendu de la carriole dont il s’était servi pour venir jusqu’au cœur du Telemark, à travers les forêts, les lacs et les vallées de la Norvège centrale.

On connaît la carriole, cet engin de locomotion qu’affectionnent particulièrement les Scandinaves. Deux longs brancards entre lesquels se meut un cheval carré d’encolure, à robe jaunâtre et raie mulassière, dirigé par un simple mors de corde, passé non à sa bouche, mais à son nez — deux grandes roues maigres, dont l’essieu, sans ressorts, supporte une petite caisse coloriée, à peine assez large pour une personne — pas de capote, pas de garde-crotte, pas de marchepied — derrière la caisse, une planchette sur laquelle se juche le skydskarl. Le tout ressemble à quelque énorme araignée, dont la double toile serait formée par les deux roues de l’appareil. Et c’est avec cette machine rudimentaire que l’on peut faire des relais de quinze à vingt kilomètres sans trop de fatigue.

Sur un signe du voyageur, le jeune garçon vint tenir le cheval. Alors ce personnage se releva, se secoua, mit pied à terre, non sans quelques efforts qui se traduisirent par des maugréements d’assez mauvaise humeur.

—    On peut remiser ma carriole ? demanda-t-il d’un ton rude, en s’arrêtant sur le seuil de la porte.

—    Oui, monsieur, répondit Hulda.

—    Et donner à manger à mon cheval ?

—    Je vais le faire mettre à l’écurie.

—    Qu’on en ait soin !

—    Cela sera fait. Puis-je vous demander si vous comptez rester quelques jours à Dal ?

—    Je n’en sais rien. La carriole et le cheval furent conduits à un petit hangar, bâti dans l’enclos même, sous l’abri des premiers arbres, au pied de la montagne. C’était la seule écurie-remise qu’il y eût à l’auberge, mais elle suffisait au service de ses hôtes. Un instant après, le voyageur était installé dans la meilleure chambre, comme il l’avait demandé. Là, après s’être débarrassé de sa houppelande, il se chauffait devant un bon feu de bois sec qu’il avait fait allumer. Pendant ce temps, afin de satisfaire son humeur peu accommodante, Hulda recommandait à la piga de préparer le meilleur dîner possible — une forte fille des environs, cette piga, qui, pendant la saison d’été, aidait à la cuisine et aux gros ouvrages de l’auberge.

Un homme encore solide, ce nouvel arrivé, bien qu’il eût déjà dépassé la soixantaine. Maigre, un peu courbé, de moyenne taille, une tête osseuse, une face glabre, un nez pointu, des yeux petits avec un regard perçant derrière de grosses lunettes, un front le plus souvent plissé, des lèvres trop minces pour qu’il pût jamais s’en échapper de bonnes paroles, de longues mains crochues — c’était un type de prêteur sur gages ou d’usurier. Hulda eut le pressentiment que ce voyageur ne devait rien apporter d’heureux dans la maison de dame Hansen.

Qu’il fût Norvégien, rien de plus sûr; mais du type scandinave il avait surtout pris les côtés vulgaires. Son costume de voyage comprenait un chapeau de forme basse à larges bords, un vêtement en drap blanchâtre, veste croisée sur la poitrine, culotte rattachée au genou par l’ardillon d’une courroie de cuir, et, sur le tout, une sorte de pelisse brune, doublée intérieurement de peau de mouton — ce que motivaient les soirées et les nuits très froides encore à la surface des plateaux et dans les vallées du Telemark.

Quant au nom de ce personnage, Hulda ne l’avait pas demandé. Mais elle ne pouvait tarder à l’apprendre, puisqu’il fallait qu’il l’inscrivît sur le livre de l’auberge.

En ce moment, dame Hansen rentra. Sa fille lui annonça l’arrivée d’un voyageur qui avait demandé le meilleur dîner et la meilleure chambre. Quant à savoir s’il prolongerait son séjour à Dal, elle l’ignorait; il ne s’était point prononcé à cet égard.

—    Et il n’a pas dit son nom ? demanda dame Hansen.

—    Non, ma mère.

—    Ni d’où il venait ?

—    Non.

—    C’est quelque touriste, sans doute. Il est fâcheux que Joël ne soit pas de retour pour se mettre à sa disposition. Comment ferons-nous s’il demande un guide ?

—    Je ne crois pas que ce soit un touriste, répondit Hulda. C’est un homme déjà âgé…

—    Si ce n’est point un touriste, que vient-il faire à Dal ? dit dame Hansen, peut-être plus à elle-même qu’à sa fille, et d’un ton qui dénotait une certaine inquiétude.

À cette question, Hulda ne pouvait répondre, puisque le voyageur n’avait rien fait connaître de ses projets.

Un conte de Jules Verne

Un billet de loterie

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