Charles Dickens

Marie — Conte de Noël

Charles Dickens (2/2)

Après avoir écouté un moment aux fenêtres et aux portes du cottage, nous conclûmes qu'il était inhabité. Poussant alors doucement la porte, nous montâmes un étroit escalier de pierre et nous nous dirigions à tâtons vers une croisée percée dans un pignon que nous avions remarquée de la route et qui devait commander l'approche du village, quand nous entendîmes une voix murmurer ces mots :

« Est-ce vous, William ? » au moment même où nous entrions dans le galetas.

Après nous être arrêtés une minute ou deux, retenant notre haleine et désappointant l'attente de la personne qui parlait, nous nous plaçâmes à notre poste d'observation. Plusieurs quarts d'heure carillonnés par l'horloge s'étaient évanouis « dans les mélodies éternelles » au sommet de la tour, et je commençais à désespérer de voir apparaître l'objet de nos recherches, quand Tom m'allongea en silence un coup de coude.

« S'il faut vous le dire ? murmura-t-il tout bas, j'entends des pas autour du coin. Regardez. Il y a derrière la haie un homme qui a la tête levée vers la fenêtre voisine. Le voilà qui bouge. Suivons-le. Non, ne bougez pas. Attendons. Il traverse la rue. Il vient dans cette maison même ! »

Je vis en effet une figure d'homme se glisser silencieusement à travers la route et disparaître sous le porche du vieux cottage. Notre embarras était grand. Nous n'avions pas de lumière et nous ne connaissions aucunement les dispositions des lieux. Un autre quart d'heure carillonné par l'horloge, nous avertit que la nuit s'écoulait rapidement. Nous avions presque résolu de retourner sur nos pas si faire se pouvait, et de regagner l'endroit où nous avions laissé notre infortuné cheval, quand je sentis de nouveau dans mes côtes les coudes de mon ami Tom.

« S'il faut vous le dire ? » murmura-t-il, « il se passe quelque chose ici; » et il me montra une faible lueur réfléchie sur les charpentes intérieures du toit, au-dessus de nos têtes.

Cette lueur sortait de la chambre voisine, le mur de séparation n'ayant pas été élevé plus haut que les solives transversales; en sorte que la toiture était commune aux deux chambres. Le mur même n'avait guère que sept ou huit pieds de haut. Nous pouvions donc entendre tout ce qu'on disait; mais on ne disait rien, et notre oreille épiait en vain le moindre son. Cependant la lumière continuait de brûler; on la voyait vaciller au-dessus du mur et se jouer dans le sombre chaume.

« S'il faut vous le dire ? dit Tom, il nous serait aisé de voir dans la chambre voisine, en grimpant sur ces vieilles solives. Tenez mon pistolet tant que j'y sois monté; et, s'il faut vous le dire ? il me sera aisé de le tuer de là. »

« Au nom du ciel, Tom ! lui dis-je, prenez garde à ce que vous faites. Laissez-moi voir d'abord si c'est bien le voleur. »

« Alors, grimpez aussi, » dit Tom, qui, déjà à cheval sur une des solives, me tendit la main pour m'aider à monter. Nous étions tous deux de niveau avec le mur de séparation, et, en allongeant un peu la tête, nous pouvions voir tout ce qui se passait dans la chambre voisine. C'était une bien misérable chambre. Il y avait une petite table ronde et une couple de vieilles chaises; mais la plus profonde misère était le trait caractéristique de ce galetas désolé, sans feu, malgré le rigoureux hiver.

Une femme, bravant apparemment le froid, était assise près de la table et lisait un livre. La petite lampe, qui avait été allumée sans bruit, projetait à peine sa lueur sur le visage de la lectrice et sur son livre. Ses traits étaient pâles et défaits; mais elle était encore jeune et belle, ou du moins le mystère et l'étrangeté de cet incident répandaient un si grand intérêt sur sa personne, que je la trouvai telle. Ses vêtements étaient pauvres, et le châle; étroitement serré sur ses épaules, manifestait plutôt qu'il ne cachait leur exiguïté. Tout à coup nous vîmes à l'autre extrémité de la chambre une figure sortir de l'obscurité; Tom serra son pistolet d'une main plus ferme et l'arma, en prévenant le bruit avec son pouce. L'homme se tenait sur le seuil, comme s'il ne savait s'il devait entrer. Il regarda longtemps la femme qui continuait de lire; puis il s'approcha d'elle en silence. Elle entendit ses pas, leva la tête, et le regarda en face sans dire un mot. Je n'avais vu de ma vie une figure si pâle et si émue.

« Nous partirons demain, dit-il; j'ai quelque argent comme je l'espérais. » Et, en disant ces mots, il déposa sur la table, devant elle, trois guinées d'or. Cependant elle continua de se taire, et elle épiait ses traits la bouche à demi béante.

« S'il faut vous le dire ? dit Tom, à n'en pas douter, c'est notre argent. Est-ce bien là l'homme ? »

« Je ne le sais pas encore. Il faut que je voie ses yeux. »

Cependant la conversation continuait en dessous de nous.

« J'ai emprunté ces trois pièces à un ami, » continua l'homme, comme pour répondre au regard fixé sur lui; « à un ami, m'entendez-vous ? J'aurais pu en avoir davantage, mais je n'ai voulu en prendre que trois. Cela suffit pour nous conduire à Liverpool, et une fois là, nous sommes sûrs de trouver un passage pour l'Ouest. Une fois dans l'Ouest, le monde est devant nous. Je puis travailler, Marie. Nous sommes jeunes. Un homme pauvre n'a pas de chance ici, mais nous pouvons passer en Amérique avec des espérances toutes fraîches.

« Et une bonne conscience aussi ! » dit la femme à voix basse, mais d'un ton interrogatif et aussi profondément tragique que celui de lady Macbeth.

L'homme restait silencieux. À la fin, pourtant, il sembla s'irriter de la fixité de son regard. « Pourquoi me regardez-vous ainsi ? lui dit-il. Je vous dis que nous partirons demain. »

« Et l'argent ? » dit la femme.

« Je le renverrai à celui à qui je l'ai emprunté, sur mes premiers gains. Je n'ai pris que trois guinées, de peur de le gêner en prenant davantage. »

« Je veux voir cet ami moi-même, dit Marie, avant de toucher à l'argent. »

« S'il faut vous le dire ? demanda de nouveau Tom, c'est bien sûr là, notre homme ! »

« Chut ! lui dis-je; écoutons. »

« J'ai reconnu un de mes amis dans l'un des commis de la banque de Melfield. C'est de lui que je tiens ces guinées. Je vous en donne ma parole. »

« S'il faut vous le dire ? qu'attendons-nous ? Il avoue tout, dit Tom. Tombons sur lui à l'improviste. Je n'ai jamais vu un plus laid scélérat. » « Avec cette somme, continua l'homme, voyez tout ce que nous pouvons faire. Elle nous tirera de la détresse où nous sommes tombés, Marie; vous savez qu'en cela je dis la vérité, sans qu'il y ait de ma part d'autre faute qu'une excessive confiance dans un faux ami. Je ne puis vous voir mourir de faim. Je ne puis voir notre petit enfant, né dans une position confortable, réduit à coucher sur la paille, au fond d'une grange comme cette maison. Non, je ne le puis, je ne le veux pas. »

Il poursuivit, se passionnant davantage à mesure qu'il parlait. « À tout prix, je veux vous rendre une chance de confort et d'indépendance. »

« Et la paix d'esprit ? répliqua Marie. Oh ! William ! je dois vous dire les horribles craintes qui ont rempli mon âme pendant votre absence, durant cette terrible nuit. J'ai lu et prié. J'ai demandé des consolations au ciel. Oh ! William ! rendez l'argent à votre ami. — Je ne dis rien de l'emprunt; — rendez cet argent. Je ne puis le regarder. Manquons de tout; mourons, s'il le faut, mais rendez cet argent. »

Tom Ruddle désarma tout doucement son pistolet et passa la manche de son pardessus sur ses yeux.

« Ayons confiance en Dieu, William, poursuivit la femme, et la délivrance viendra. Le temps est très froid, ajouta-t-elle. Il n'y a plus d'espérance visible, mais je ne puis désespérer de tout à cette époque de l'année. Cette grange, comme vous l'appelez, William, n'est pas un séjour plus humble que la crèche de Bethléem, dont je viens de lire la touchante histoire. »

En ce moment, les cloches de la vieille église sonnèrent à pleine volée. Nous étions si près de la tour que leurs vibrations ébranlaient les solives sur lesquelles nous nous tenions à cheval et remplissaient tout le cottage de leur rude harmonie. « Écoutez ! s'écria l'homme étonné, qu'est-ce que c'est que cela ? — C'est le matin de Noël, répondit la femme. Ah ! William, William ! dans quel esprit nous devrions accueillir ce jour ! dans quel esprit différent nous l'avons maintes et maintes fois accueilli dans des temps plus heureux ! »

L'homme prêta l'oreille aux cloches pendant une minute ou deux; puis il s'agenouilla et cacha sa tête sur les genoux de sa femme. Il se fit un profond silence, sauf la musique de Noël. « S'il faut vous le dire ? dit Tom, je me rappelle qu'à cette heure nous chantions toujours un hymne dans la maison de mon père. Allons- nous-en : je ne voudrais pas pour mille guinées troubler ces pauvres gens. »

Nos préparatifs pour descendre firent un peu de bruit. L'homme regarda en l'air, tandis que la femme restait absorbée dans ses prières. Comme ma tête dépassait juste le niveau du mur, nos yeux se rencontrèrent. C'étaient bien les mêmes yeux qui étincelaient d'un éclat sauvage, quand le coup de pistolet était parti du cabriolet. Nous continuâmes notre descente. L'homme se releva tranquillement de sa position agenouillée et mit son doigt sur sa bouche. En descendant les escaliers, nous le trouvâmes qui nous attendait sur le seuil de la porte. « Non pas devant elle, dit-il. Je veux lui épargner ce triste spectacle, si je puis. Je suis coupable du vol, mais je ne voulais pas vous faire mal, monsieur. Le pistolet est parti dès que je l'ai touché. Au nom du ciel, dites-le-lui avec des ménagements quand vous m'aurez emmené ! »

« S'il faut vous le dire ? dit Tom Ruddle, dont les dispositions belliqueuses s'étaient tout à fait évanouies, le pistolet était mon erreur, et tout ceci est une erreur aussi. Venez me voir, mon ami et moi, à la banque, après demain, et s'il faut vous le dire ? le diable de vent ! il est si piquant qu'il me fait venir les larmes aux yeux; oui, s'il faut vous le dire, nous nous arrangerons pour vous en prêter davantage. »

Les cloches continuaient de sonner dans l'air. Il était près de minuit, et notre retour au logis à travers les chemins durcis par la gelée fut la plus agréable promenade en voiture que nous eussions faite de notre vie.